Semiramide, La Signora regale
            En marge des albums-hommages à tel castrat ou telle chanteuse du XVIII° siècle, Anna Bonitatibus et
          Federico Ferri explorent la figure protéiforme de Sémiramis sur un siècle d'opera seria, de Caldara (Vienne, 1725)
          à Manuel Garcia (Mexico, 1828). Les inédits abondent - seule la page de Meyerbeer avait été révélée au disque.
          Plus qu'un personnage, la femme forte de l’Assyrie y apparaît comme un foyer d'intrigues, d'images et de
          caractères, dominé en amont par le livret à déguisements de Métastase, Semiramide riconosciuta, puis,
          à partir de 1790, par l’influence de la tragédie à grand spectacle de Voltaire, qui dresse une sorte
          de Clytemnestre incestueuse. Le récital et son épaisse notice richement documentée (mais piètrement traduite)
          brossent le captivant panorama d'un siècle d'opéra italien, sans rien d'anecdotique. Il honore aussi
          dignement (enfin !) la suprématie d'une artiste discrète mais hors pair dans des rôles aussi différents que
          la Didon de Cavalli, le Chérubin de Mozart ou le Curiace de Cimarosa.
          Les éloges de Piotr Kaminski pour son disque Haydn en 2009 (cf. n° 566) valent toujours: santé et plénitude
          vocales, érotisme et plasticité, intelligence inlassable. Rompue au recitar cantando, Anna Bonitatibus
          sait colorer sa voix selon le verbe, la situation, l’espace musical, d'où une varété délectable dans
          et entre les airs du premier CD. Cet art de conduire la phrase - sensible, franc, toujours noble - sert
          la profondeur humaine d'un répertoire où le non-dit importe tout autant que la rhétorique d'opéra.
          On découvre une version alternative du «Bel raggio» de Rossini, moins démostrative qu'interrogative,
          ou la révision napolitaine pour Colbran (1815) de la Semiramide de Nasolini, qui emprunte à celle de
          Portogallo (1806) dont Yvonne Kenny avait révélé la morgue royale (Opera Rara). Secondé par un orchestre
          attentif et savoureux, le talent propre de Bonitatibus s'accomode mieux du climat voilé de Garcia ou des
          frémissements baroques d'un Jommelli, d'un Traetta, mais c'est la rêverie plus classiquements intime
          qu'elle déploie en souveraine: Paisiello, Bernasconi et Borghi sont les sommets de ce régal.